Intelligence Artificielle, Libertés & Business: les Grandes Manoeuvres

Le 1er novembre 2023, les représentants de 28 pays et organisations dont les USA, la Chine, la Commission Européenne et bien entendu la France se sont réunis à Bletchley Park, dans la banlieue de Londres pour définir ensemble comment encadre le développement de l’intelligence artificielle et en contrôler les effets.
Voici, un peu en vrac, ce que nous pouvons en penser.

Le 1er novembre 2023, les représentants de 28 pays et organisations dont les USA, la Chine, la Commission Européenne et bien entendu la France se sont réunis à Bletchley Park, au nord-ouest de Londres, pour définir ensemble comment accompagner le développement de l’intelligence artificielle et surtout en maîtriser les effets.

Qu’en penser ? Déjà, c’est une très bonne chose: quand autant de monde se réunit autour d’un concept que l’on a tant de mal à définir (cf. un article précédent), c’est que le sujet dépasse largement le cadre de la recherche et de ChatGPT, tarte à la crème de l’intelligence artificielle. Dans un deuxième temps, cet événement inspire plusieurs réflexions, un peu désordonnées, livrées à votre sagacité et donc à vos critiques.

Bletchley Park : de leader à entremetteur

Bletchley Park est un lieu chargé de symboles, puisque c’est à cet endroit que pendant la 2ème guerre mondiale les Britanniques ont trouvé comment déchiffrer les messages allemands, ce qui a évidemment joué un rôle majeur dans la victoire.
Clairement, à l’époque les Britanniques étaient leaders en la matière et Turing leur figure de proue, même s’ils étaient plusieurs milliers à travailler sur le sujet. Mais les temps ont changé: les géants de l’intelligence artificielle sont américains et l’Union Européenne peut s’appuyer sur la taille du marché unique pour tenter d’imposer ses normes. Quand à la Chine, également présente à Bletchley Park, elle joue également dans la cour des grands, même si elle semble encore à la remarque des USA.
Que pèse la Grande-Bretagne là-dedans ? Eh bien pas grand-chose: elle n’a pas le poids économique et donc normatif de l’UE, ni les géants de l’IA comme Google, Microsoft et autres Amazon. C’est pourquoi elle ne peut que servir d’entremetteur en rassemblant tout le gratin de l’IA à Bletchley Park.

Aux Américains la promotion des intérêts de leurs géants; aux Européens la défense de leurs valeurs fondamentales… et l’émergence de nouveaux champions.

L’approche américaine : Business first

L’approche américaine promue par la Maison Blanche laisse la part belle aux géants de l’Internet et de l’IA: ils y ont porte ouverte et poussent vers une forme d’auto-régulation et ils n’hésitent pas à proposer eux-mêmes leurs propres normes pour permettre de défendre leur business.
Dans leur confrontation ouverte pour la domination mondiale face à la Chine, les USA doivent s’appuyer sur leurs atouts pour conserver leur leadership dans la conception de puces électroniques, les data-centers et plus généralement l’intelligence artificielle. Et leurs principaux atouts sont leurs géants comme Nvidia, leader mondial des processeurs destinés à l’IA.

L’approche européenne: réglementation et normes

L’Union Européenne est aujourd’hui très avancée dans la rédaction d’un « IA Act », directive qui permettra de placer l’usage de l’intelligence artificielle dans un cadre réglementaire se voulant respectueux de nos libertés. Le poids économique et commerciale de l’UE devrait suffire pour contraindre les acteurs de l’IA, notamment les géants à se plier à nos normes, sous peine de voir ce gigantesque marché se fermer.
Les trois principes fondamentaux que les acteurs de l’IA reviennent régulièrement dans les arguments utilisés pour la rendre acceptable aux yeux des utilisateurs. Fondamentalement personne ne saurait critiquer ces trois points clés: transparence, responsabilité et liberté de décider sans être influencé par l’IA.

Transparence, responsabilité et liberté de ses choix sont au coeur du projet de directive de l’UA sur l’intelligence artificielle.

Ces objectifs seront certainement difficiles à atteindre, mais l’intérêt de ce projet de directive est qu’il assume pleinement la nécessaire concentration du marché pour permettre à des acteurs majeurs d’émerger.
Comment concilier tout cela, comment y parvenir ? Nous pouvons dire que le débat est ouvert.

Qui des USA ou de l’UE va l’emporter ?

Clairement, les Etats-Unis ont un temps d’avance grâce aux géants qu’ils ont su faire prospérer. Mais il ne faudrait pas sous-estimer la contrainte que les normes peuvent représenter pour forcer les acteurs à s’adapter et permettre l’émergence de champions sur le vieux continent.
Quoiqu’il en soit, les européens ne peuvent se battre qu’avec les armes qu’ils possèdent et la normalisation comme la réglementation sont les seules qui peuvent aujourd’hui contraindre les acteurs extra-européens, qui ne sont pas qu’américains, rappelons-le.
A ceux et celles qui dénoncent notre naïveté et brocardent le côté tatillon et rond-de-cuir de la Commission Européenne, nous pourrions alors affirmer que c’est certainement préférable à l’ouverture en grand de nos frontières à des modèles d’IA qui seraient diffusés sans contrôle aucun.

Enfin, nous ne devons pas oublier dans ce jeu complexe la rivalité avec la Chine, dont l’approche conquérante, opaque, notamment en matière de respect des libertés individuelles et du droit ne saurait être sous-estimée: nous aurons besoin des USA pour avancer nos propres pions !

Avatar de Inconnu

Auteur : Fabrice Jaouën

Blog personnel portant sur les sujets d'intelligence artificielle et de société.

2 réflexions sur « Intelligence Artificielle, Libertés & Business: les Grandes Manoeuvres »

  1. Comme à votre habitude, vous nous faites part d’un aperçu synthétique intéressant et bien écrit.

    En un sens, nous pourrions dire que vous êtes toujours au service de la France en apportant à certains de vos concitoyens votre éclairage.

    Merci

    J’aime

Répondre à Anonyme Annuler la réponse.