Cessons de fantasmer sur le recrutement par l’IA…

Et si on admettait enfin que le recrutement par l’IA était une fausse bonne idée ?
Dans ce billet, je vous détaille pourquoi les outils de recrutement par l’IA ne peuvent pas tenir leurs promesses.

A chacune de mes interventions sur les usages de l’intelligence artificielle dans les Ressources Humaines, je reste surpris par le regard d’enfant que les spécialistes RH posent sur le sujet.

En effet, ces spécialistes, généralement totalement investis dans leur métier sont confrontés à la double injonction d’être efficaces, plus rapides tout en étant confrontés à des budgets serrés, tant la fonction est d’abord considérée comme un centre de coûts. Et l’intelligence artificielle peut alors apparaître comme une solution miracle, une baguette magique, la promesse absolue de lendemains enchanteurs, notamment pour le recrutement, puisque chaque année en France sont signés plus de 40 millions de contrat de travail.

L’objectif de ce post est donc de calmer un peu ces ardeurs, même si ça vexe les fournisseurs de solution. Désolé pour eux…

Disclaimer : ayant moi-même travaillé dans le domaine et ayant des proches qui y sont encore actifs, je dois d’abord exprimer tout mon respect pour cette profession qui n’a vraiment pas un métier facile !

L’entreprise a un fonctionnement trop complexe pour l’IA

Les solutions offertes aux RH sont en général très séduisantes: on va recruter mieux et plus rapidement, on va enfin résoudre le problème des discriminations, l’offre de formations va enfin donner satisfaction aux salariés. En général, ces propositions seront accompagnées de la tarte à la crème de l’IA, je veux dire l’IA générative. Car pour tout un RH qui se respecte, l’IA est née avec ChatGPT.

Mais est-ce aussi simple ?

Eh bien non: toute IA est d’abord une représentation du monde, d’un sujet développée sur la base de connaissances, d’informations qu’on lui a données pour l’entraîner ou qui ont servi à sa conception.

Et c’est là que les ennuis commencent, car l’entreprise n’est pas une somme de processus savamment orchestrés où les êtres humains sont des clones interchangeables et limités à des tâches répétitives. L’entreprise est d’abord un corps social, en mouvement permanent et dont personne ne parvient à réellement maîtriser les flux d’informations et les échanges.

Chaque entreprise est unique: ce qui est valable pour l’une ne l’est pas pour l’autre. Chaque direction de cette même entreprise est également unique: qui oserait affirmer que les ingénieurs du département R&D pensent comme les RH?
Et pour compliquer la chose, les entreprises (et même les administrations) sont dynamiques: elles changent de structure, d’organisation en permanence; les postes eux-mêmes évoluent dans une sorte de flux continu: l’entreprise d’hier n’est pas tout à fait celle d’aujourd’hui et est encore moins celle de demain.

L’expression exacte du besoin: Mission impossible

Pour dire simplement les choses, une IA ne se conçoit pas ex nihilo: les ingénieurs qui la conçoivent ont besoin d’énormément d’informations, de connaissances qui leur permettent de comprendre précisément les résultats idéaux à obtenir. Et ça fonctionne de manière remarquable dans tous les processus industriels ou logistiques, car les données sont présentes (la plupart du temps), contrairement au domaine RH.

En effet, le spécialiste des ressources humaines est d’abord confronté à l’incertitude: le processus est nécessaire, mais il est surtout là pour tenter d’ordonner le chaos.
Prenons l’exemple d’une fiche de poste: les attentes à l’égard du salarié en poste sont dépendantes des pratiques managériales, des imprévus qui jalonnent la vie de l’entreprise, d’une nouvelle orientation stratégique. Allons un peu plus loin: la fiche de poste est explicite, mais la culture commune d’une entreprise est souvent implicite : si vous ne venez pas de telle école de premier rang, ce n’est même pas la peine de rêver faire carrière. Et il y a l’impensé: les réalités du fonctionnement que seul un regard extérieur pourrait déceler et que personne dans l’entreprise ne saurait même formuler tellement c’est profondément ancré dans les croyances collectives.

Or comment parvenir à modéliser une réalité que l’on n’est même pas capable de définir ?

Le cercle vicieux des IA Génératives

Tout RH qui se respecte se doit d’investir dans une IA générative. Et il a raison: ça permet de gagner du temps dans de multiples tâches, comme la rédaction fastidieuse de fiches de postes, d’offres d’emploi.
Mais qu’en pense le candidat dans le cadre d’un recrutement ?
Eh bien, il n’en pense que du bien puisqu’il fait la même chose: il rédige son C.V. et sa lettre de motivation grâce à une IA générative qui a auparavant servi à rédiger la fiche de poste comme l’offre d’emploi.
Et en retour, submergé par les candidatures expédiées en quelques minutes par des candidats qui postulent à la chaîne, le recruteur va pouvoir utiliser le traitement automatique du langage pour générer des synthèses de candidatures elles-mêmes rédigées par une IA.

Mais quel l’intérêt de tout ça ? Aucun, si ce n’est d’acheter des services logiciels qui permettent d’entretenir un cercle vicieux où tout le monde expédie son travail à la va-vite.

Et dans ce billet, je vous épargne les problèmes de déontologie, de fuite de données, les risques de discrimination, le fait de passer à côté de la perle rare, etc.

Quelles conclusions en tirer ?

En fait, dans leur grande sagesse, les entreprises ont tout compris: elles utilisent les plateformes comme LinkedIn ou Indeed, mais surtout, elles continuent de faire appel aux méthodes analogiques et éprouvées: la chasse de tête, la cooptation, les agences d’intérim, France Travail et surtout, elles rejettent le tout IA dans le recrutement, tellement cela ne fonctionne pas, malgré quelques déclarations enthousiastes mais qui demandent à être vérifiées.
En revanche, restons sur une note optimiste: devant la masse de C.V. et de candidatures permises par la facilité avec laquelle on postule aujourd’hui, les outils de tri de candidatures ont de l’avenir, mais cela restera nécessairement de la grosse maille, parfaite pour les cas standards et le tout venant: les vrais talents rares et inattendus resteront encore longtemps l’apanage des chasseurs de têtes !

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Auteur : Fabrice Jaouën

Blog personnel portant sur les sujets d'intelligence artificielle et de société.

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