Et si la complexité d’une société était la clé de sa résilience ?

Il n’est pas de semaine sans que nous ne soyons alertés sur les tentatives de déstabilisation conduites par des pays rivaux dans le champ informationnel: sites de désinformation générés à la chaîne par des IA, attaques ouvertes contre nos valeurs et nos démocraties sur les réseaux sociaux, enfermement de notre jeunesse dans des tunnels cognitifs pour les emmener à développer une autre vision du monde et fragiliser nos sociétés dans le long terme.

Ces attaques sont une réalité, Dmitri Minic, cité dans un autre billet le démontre brillamment à propos de la stratégie russe. L’article de Boulenguer, Guéneau et Prébot détaille son pendant chinois dans le dernier numéro de la Revue Internationale et Stratégique publié sur Cairn.

Cette vision globale de la guerre est suffisamment documentée pour être admise.
En revanche, je m’interroge sur l’effet de ces menaces et de ces attaques.

Ce billet de blog va donc tenter d’ouvrir quelques nouvelles pistes de réflexion, nées de ma découverte des travaux de Behnoosh Namdarzadeh, lors d’une journée d’études organisée par l’AFIA et ATALA ce 12 décembre.

Il n’est pas de semaine sans que nous ne soyons alertés sur les tentatives de déstabilisation conduites par des pays rivaux dans le champ informationnel: sites de désinformation générés à la chaîne par des IA, attaques ouvertes contre nos valeurs et nos démocraties sur les réseaux sociaux, enfermement de notre jeunesse dans des tunnels cognitifs pour les conduire à développer une autre vision du monde et fragiliser nos sociétés dans le long terme.

Ces attaques sont une réalité, Dmitri Minic, cité dans un autre billet le démontre brillamment à propos de la stratégie russe. L’article de Boulenguer, Guéneau et Prébot détaille son pendant chinois dans le dernier numéro de la Revue Internationale et Stratégique publié sur Cairn.

Cette vision globale de la guerre est suffisamment documentée pour être admise.
En revanche, je m’interroge sur l’effet de ces menaces et de ces attaques.

Ce billet de blog va donc tenter d’ouvrir quelques nouvelles pistes de réflexion, nées de ma découverte des travaux de Behnoosh Namdarzadeh, lors d’une journée d’études organisée par l’AFIA1 et ATALA2 ce 12 décembre.

Savons-nous qui nous sommes ?

Cette première question pourrait sembler incongrue, mais elle est née de ma fréquentation quotidienne des alsaciens. Dans ces deux départements, l’expression « Nos ancêtres les Gaulois » ne veut pas dire grand chose si tant est qu’elle recèle une vérité historique, puisque les peuples qui peuplaient l’Alsace étaient des germains. Puis, lorsque le roman national a été écrit sous la IIIème République, l’Alsace était allemande. Si nous prenons notre héros de 14-18, le Poilu, cela tombe à plat et de même pour la IIème Guerre mondiale.
Notre image d’une France unique, fédérée par les mythes révolutionnaires et autres épopées ne parle donc pas à certaines de nos régions, dont l’Alsace, contrairement au discours généralement admis.

Pour aller plus loin, il semble nécessaire d’évoquer les travaux de Behnoosh Namdarzadeh. La recherche qu’elle conduit porte sur la transposition des dialectes iraniens dans les IA génératives comme ChatGPT ou OpenAI.
Cette journée d’études organisée par l’AFIA et l’ATALA ont donc été une découverte: tout d’abord de nombreux dialectes et langues cohabitent en Iran: le Persan, évidemment, mais aussi le Turkmène et encore d’autres. Or ces langues et dialectes sont absents des corpus des IA génératives qui rappelons-le, sont issus à 85% de documents anglophones.
Il est donc clair que la génération automatique d’articles de presse à fin de guerre cognitive ou de désinformation tombe également à plat: le rendu d’un article rédigé en Persan ou en Turkmène iranien par ChatGPT sera de faible qualité et donc incapable d’emporter l’adhésion de ses lecteurs.

En transposant cela au Français, nous devrions retrouver les mêmes problèmes: le lectorat du Monde n’est pas celui du Figaro, ni celui de Ouest-France. La langue employée n’est donc pas exactement la même. La question que nous devons nous poser est donc la suivante: quel est le pouvoir de persuasion de quelqu’un qui ne parle pas comme vous ? La distance lexicale et grammaticale aide-t-elle à la persuasion ou est-elle un facteur disqualifiant ?
Je n’ai pas encore trouvé la réponse, alors qu’elle revêt une importance majeure (du moins à mes yeux) dans la compréhension de la réponse des groupes de population aux attaques cognitives dont elles font l’objet.

La complexité d’une société devient un atout

Notre vision de la société française est trop souvent simplificatrice lorsque nous pensons aux menaces dans le champ informationnel: nous présentons les Français comme un ensemble homogène, ignorant ainsi les différences culturelles et linguistiques qui permettraient de se rapprocher des populations et de les gagner à notre cause.
En revenant sur le site mediafootmarseille.fr, cité par Reporters Sans Frontières dans son dossier contre les sites de désinformation, je ne puis que constater la faiblesse du discours pour évoquer le prochain match de l’OM:

« Le match se déroulant au Vélodrome, l’avantage du terrain pourrait jouer un rôle clé pour les Marseillais. La dynamique actuelle des deux clubs penche en faveur de l’OM, qui pourrait capitaliser sur sa forme récente pour s’imposer.

Médiafootmarseille (13 décembre 2025)

Qui oserait parler ainsi de l’OM sans d’abord parler des supporters, de l’ambiance de feu ? Utiliser une IA générative pour parler de Marseille avec l’accent de Neuilly-sur-Seine n’est certainement pas la meilleure méthode pour gagner les esprits.

Notre vision simplificatrice de notre pays nous induit en erreur

Donc, oui, notre vision intellectualisée et simplificatrice de la société française nous fait oublier que l’adversaire doit d’abord adapter son discours à son auditoire. Si cet adversaire, qui n’est pas bête, n’adapte pas son discours à son auditoire, c’est pour une simple raison: l’auditoire affiché, n’est pas l’auditoire qu’il cible.

Cet auditoire est un auditoire insensible aux parlers et centres d’intérêts locaux. Cet auditoire est donc un auditoire parisien, voire jacobin, que l’on veut faire réagir en attirant son attention sur les dangers de la désinformation.
Cette grille de lecture des manoeuvres cognitives récemment dénoncées par RSF et l’Etat nous permet alors de déduire qu’il pourrait s’agir d’une magnifique stratégie indirecte, chère à Sun Tzu, destinée à cibler l’Etat en nous laissant croire que nos concitoyens étaient la cible.

  1. AFIA : Association Française d’Intelligence Artificielle ↩︎
  2. ATALA : Association pour le Traitement Automatique des Langues ↩︎
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Auteur : Fabrice Jaouën

Blog personnel portant sur les sujets d'intelligence artificielle et de société.

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