Notre transformation en sociétés de l’information nous contraint à repenser la guerre. Il devient possible d’abattre un adversaire de l’intérieur sans qu’il ne soit même nécessaire de s’engager dans la confrontation armée.
Cet article est le fruit d’une réflexion personnelle et invite essentiellement à la réflexion. Il ne prétend exprimer aucune vérité établie et est donc totalement critiquable.
Traditionnellement, la guerre invoque la brutalité, la violence extrême des combats, la destruction et la mort. Il suffit de lire quelques pages de « Ceux de 14 », oeuvre majeure de Maurice Genevoix, pour s’en convaincre. D’ailleurs, les conflits actuels nous rappellent chaque jour le pouvoir destructeur des armées en campagne. Nous devons admettre que la paix universelle et le règne de la concorde entre humains relèvent plus de l’utopie que d’un avenir proche.
Quand tromper son adversaire est légitime
Sun Tzu avait érigé en modèle l’utilisation de la ruse et de la tromperie pour parvenir à vaincre sans avoir à tirer un coup de feu. Par le passé, cette approche de la guerre a rencontré les plus grandes difficultés dans sa mise en oeuvre: le déploiement d’espions ou d’agents clandestins est cher, complexe et orienté vers des cibles à haute valeur ajoutée. L’opération Mincemeat, accomplie en 1943, en est l’exemple parfait. Au prix de trésors d’ingéniosité et de préparations, les services secrets britanniques sont parvenus à tromper le renseignement allemand en lui faisant croire que le débarquement allié réellement prévu en Sicile aurait lieu dans les Balkans. La réussite du débarquement allié en Sicile, en juillet 1943, est partiellement attribué au succès de cette opération.
Plus récemment, la Guerre froide s’est accompagnée de campagnes de désinformation et d’influence qui avaient pour objectif de déstabiliser l’adversaire en touchant les populations. Radio Free Europe, financée par la CIA puis par le Congrès américain était alors considérée comme un outil majeur dans l’approche directe des populations.
Ces deux modes opératoires ne fondent pour autant pas une stratégie en soi. Or, il semblerait que la transformation de nos sociétés en sociétés de l’information et la généralisation des usages de l’IA ouvrent des perspectives stratégiques intéressantes.
Nous devons tout d’abord nous extraire de notre vision du monde pour adopter celle de nos adversaires
Quand le déclassement militaire conduit l’adversaire à aller sur d’autres champs
En observant notre adversaire potentiel qu’est la Russie, nous nous ne pouvons que constater les limites de son potentiel industriel, militaire et démographique. Engagée depuis février 2022 dans une guerre qu’elle a voulue, elle n’a eu de cesse de s’épuiser en tentant de conquérir quelques kilomètres carrés face à des forces ukrainiennes tenaces.
Considérant les pays de l’OTAN comme des adversaires, mais sans disposer des capacités militaires pour limiter leur domination, la Russie se doit donc d’aller à la confrontation avec les atouts dont elle dispose. Nécessairement perdante dans une course aux armements, son intérêt est donc de nous défier sur des champs où le rapport de forces est plus équilibré, voire lui est favorable.
La fragilité des sociétés de l’information
En tout premier lieu, la guerre, ici, n’est pas définie par sa nature juridique, mais bien par son sens stratégique: il s’agit de contraindre l’adversaire à se soumettre à notre volonté. Il n’y a donc pas besoin de déclarer la guerre, ni de confrontation armée pour être en guerre (Sun Tzu l’a déjà affirmé voilà plus de 2.000 ans).
La première chose à admettre est que nos sociétés sont devenues des sociétés de l’information. Nous ne sommes plus des nations industrielles. Pour nous faire mal, ce n’est pas l’industrie ou l’agriculture qu’il faut attaquer, mais bien nos systèmes d’informations qui constituent l’épine dorsale de nos sociétés. Et ces systèmes d’informations ne sont pas nos systèmes informatiques. Il s’agit bien de cette myriade d’interactions multiples et multi-canaux qui nous animent tout les jours.
C’est dans ce champ que l’idée de guerre cognitive trouve son intérêt. Cette approche permet de retrouver une cohérence stratégique dans des actions qui, prises isolément, donnent une impression de décousu. Elle va passer par de la désinformation chez nous ou chez nos partenaires, des actions d’intimidation menées par quelques avions, des gestes symboliques illustrant notre prétendue décadence, une présence forte et multiformes sur les réseaux sociaux et bien d’autres moyens. Les attaques contre nos hôpitaux ou nos services publics peuvent avoir pour objectif de piller des richesses, mais aussi de montrer nos faiblesses, de discréditer nos gouvernants.
L’avantage de cette méthode est qu’elle est d’un coût ridicule par rapport à la construction d’une armée moderne et qu’elle est bien moins risquée qu’une action armée même limitée.
L’autre avantage de cette approche est qu’elle limite l’effet des politiques de réarmement, puisque pendant que vous vous engagez dans une course aux armements, votre adversaire prend l’initiative en vous attaquant hic et nunc sur les inévitables points faibles de nos sociétés toutes tournées vers l’information.
Toujours penser aux objectifs de notre adversaire
Est-ce efficace ? Tout dépend de l’objectif stratégique. Si l’objectif est de diviser son adversaire au point de l’empêcher d’agir, nous pouvons déjà constater que seule une minorité de pays appliquent les sanctions contre la Russie et qu’elles sont massivement détournées. Si l’objectif est de développer dans l’opinion des perceptions plus favorables aux vues de la Russie, nous pouvons constater la difficulté à s’opposer aux multiples trolls qui inondent les réseaux sociaux.
Je laisse en revanche aux experts le commentaire de l’actualité politique.
Et l’IA dans tout ça ? En soit, elle ne constitue par une stratégie. Elle se rapproche plutôt de la machine-outil qui permet d’industrialiser la production et facilite la vie des opérateurs. Elle servirait donc plutôt de multiplicateur d’effets en permettant de créer du volume et de la densité, des contenus, de faux comptes, des réactions. Elle rend accessible des outils et des méthodes qui nécessiteraient beaucoup plus d’opérateurs et de compétences.