Les organisations, entreprises, associations ou administrations se définissent en règle général par leur mission, leur statut juridique et bien d’autres facteurs distinctifs. Pourtant, on mentionne trop rarement ce qui permet de distinguer les organisations entre elles et les rend uniques: leurs flux d’information que l’intelligence artificielle vient remettre en question.
Le contrôle de l’information définit l’organisation
La capacité à contrôler les flux d’information permet de définir ce que l’organisation veut partager, conserver pour elle et constitue un facteur important de l’autonomie de décision et de protection des facteurs de création de valeur, y compris pour les missions de service public.
Pourtant, il devient clair que l’expansion de l’intelligence artificielle aura nécessairement un impact majeur sur cette dimension structurante des organisations: la maîtrise de l’information.
Le chemin qu’a emprunté le développement du numérique ces dernières décennies illustre parfaitement cette volonté de garantir l’intégrité et surtout la propriété des flux informationnels internes: les noms de domaine, les pare-feux, les systèmes de reporting sont spécifiques à chaque organisation et irritent régulièrement les utilisateurs lorsqu’ils veulent échanger de l’information avec le monde extérieur.
L’IA vs. la fragmentation des données
Le caractère créateur de valeur que représente la donnée est aujourd’hui parfaitement intégré, mais l’emploi de l’IA exige que les données s’écoulent sans obstacles ni barrages à travers des environnements souvent très différents les uns des autres.
Le flux de données peut être comparé au Rhin:
il crée de la valeur grâce à une coopération transfrontalière bien établie et quand il devient navigable
En effet, les écosystèmes de données sont caractérisés par une complexité croissante: à l’intérieur même des organisations, des considérations de protection de l’information stratégique, ou tout simplement des querelles de périmètre peuvent contribuer à la fragmentation des données entre tous ces acteurs.
Si l’on considère l’organisation comme une entité aux multiples interactions externes, il n’en est guère qui puisse revendiquer posséder en interne la totalité des données nécessaires au développement de modèles d’intelligence artificielle susceptibles de créer de la valeur. Entendons bien: dans ce contexte, la création de valeur est autant économique que la qualité d’un service rendu au public ou à la nation, plus largement.
En effet, une large part des données est aux mains de partenaires, de sous-traitants de premier, deuxième rang, voire encore plus lointains, ne serait-ce que par leur action sur les sous-ensembles d’un système ou leur expertise sur une des composantes de ce système qu’il soit physique ou immatériel.
De fait, qu’il s’agisse d’organisations publiques ou privées, l’importance accordée à la continuité des données est largement incontournable, si l’on souhaite investir dans l’intelligence artificielle.
De multiples problématiques à résoudre
Les problématiques à résoudre sont nombreuses: responsabilité juridique, répartition de la valeur, format des données, qualité et nature de celles-ci et bien d’autres.
Mais le principal obstacle ne se situe pas là. Il se situe plutôt dans la dimension sociale des organisations: les luttes de périmètre, la quête du pouvoir, le protectionnisme sont autant de barrages artificiels, d’écueils, d’éléments polluants qui freinent, altèrent et in fine mettent en danger toute stratégie ambitieuse en matière d’intelligence artificielle.
Vers une fluidité contrôlée des données
Prétendre créer de la valeur en employant l’intelligence artificielle exige donc le développement d’une stratégie maîtrisée d’ouverture interne et externe de l’organisation, administration, association, entreprise.
Savoir partager les données, leur donner de la fluidité en travaillant conjointement sur leur qualité et leur actualisation devraient constituer à terme des facteurs discriminants dans le succès des organisations.
Les flux d’informations devront donc prendre une autre dimension: certes maîtrisés (ne soyons pas naïfs), mais surtout moins centralisés, moins verticaux, moins objets de pouvoir et d’influence et plus créateurs de valeur.
Pour y parvenir, l’impulsion stratégique et totalement assumée des instances de gouvernance est donc nécessaire si l’on veut vaincre tous ces freins.
Bref, le chemin est long et nous pouvons admirer les organisations publiques et privées qui ont pris le risque de s’engager dans cette aventure et d’embrasser avec détermination cette transformation en profondeur d’habitudes profondément ancrées dans leur culture.