L’amende infligée par la Commission Européenne à X (ex-Twitter) a provoqué une éruption de colère chez Elon Musk, son propriétaire : depuis ce vendredi 5 décembre, le propriétaire de X se répand en attaques d’une violence sans limite à l’égard de l’Union Européenne qu’il accuse de tuer la liberté d’expression. Ce déversement de haine se produit conjointement avec la publication de la Stratégie Nationale de Sécurité américaine, accessible depuis le site de la Maison Blanche.
Comment expliquer la faiblesse des réactions des Etats Membres, alors qu’en janvier dernier, ils avaient été prompts à dénoncer l’ingérence d’Elon Musk dans les affaires européennes lorsqu’il avait affiché son soutien à l’AfD, le parti d’extrême-droite allemand ?
Dans ce post, je voudrais vous proposer quelques clés de lecture que vous pourrez à loisir rejeter, critiquer ou amender.
En revanche, ces deux conceptions antagonistes de la liberté d’expression ne feront pas l’objet de ce billet: c’est trop compliqué pour moi et c’est le travail des philosophes.
Le grand écart de nos réactions face aux intrusions étrangères ?
Lorsque l’on parle d’influences, on sous-entend qu’elles ont déjà eu un effet au sein de la population. Intrusion me semblerait plus approprié. En effet, l’intrusion exprime surtout l’irruption dans le débat national. Si nous reprenons les idées qui ont récemment flotté d’une labellisation de la presse, c’était par référence à des sites, plutôt nombreux, où l’information était produite à la chaîne par des automates faisant appel à l’IA générative. Or comme je l’ai exprimé dans un billet précédent (ICI), ces sites ne sont pas conçus pour influencer la population. Ils sont conçus pour que des tiers alertent sur leur existence et la menace qui pèse sur notre pays.
Cette approche indirecte a plutôt bien fonctionné, puisqu’elle a déclenché une polémique nationale autour de la certification des sites d’information fiables.
Or, la charge simultanée d’Elon Musk sur X (ex-Twitter) et de l’administration américaine dans sa Stratégie Nationale de Sécurité n’ont finalement suscité que très peu de réactions officielles. Rappelons la charge également violente contre ce que les Européens affirment représenter.
The larger issues facing Europe include activities of the European Union and other transnational bodies that undermine political liberty and sovereignty, migration policies that are transforming the continent and creating strife, censorship of free speech and suppression of political opposition, cratering birthrates, and loss of national identities and self-confidence.
Stratégie Nationale de Sécurité Américaine (novembre 2025)
D’un côté, nous avons donc des réactions fortes contre des sites mal fichus et de l’autre des réactions faibles, voire inexistantes contre des attaques d’une autre ampleur.
La réalité des rapports de force
Vouloir s’attaquer aux influences étrangères qui tenteraient de menacer notre système démocratique est légitime. Mais pourquoi s’en prendre à d’obscurs sites web et ignorer les bombes médiatiques lancées depuis outre-Atlantique ?
Une explication possible pourrait tenir dans le rapport de forces: ces sites sans grand intérêt sont un moyen visible d’attirer l’attention sur ces menaces (menaces réelles) sans prendre le risque de fâcher qui que se soit: leurs véritables auteurs ne vont jamais revendiquer en être la source. De toute façon, s’appuyant sur l’IA et l’automatisation, ils vont en créer d’autres plus rapidement que l’on ne va réussir à les fermer.
En revanche, en ne réagissant pas face aux attaques frontales de l’homme le plus riche de la planète et ou en faisant preuve de la plus grande courtoisie envers l’administration de la 1ère puissance mondiale, nous admettons publiquement une double dépendance à leur égard. C’est le choix de la vice-présidente de la Commission Européenne sur son compte X.
Le constat pourrait paraître cruel de prime abord: nous avons plus besoin de Musk et des U.S.A. qu’ils n’ont besoin de nous. Nous pourrions aussi évoquer les divisions entre Etats Membres et la difficulté à parler d’une voix unique. La nature de la relation avec les U.S.A. est également très différentes d’un pays européen à l’autre: certains leur doivent leur liberté et leur sécurité, d’autres se sentent moins redevables. Nous pourrions également évoquer les échéances électorales au sein des Etats Membres et la prudence qui s’impose dans une telle situation. La difficulté à lire la politique américaine actuelle et l’intérêt de voir Tesla continuer à investir en Europe pourraient être d’autres arguments.
Finalement ce silence est peut-être la solution la plus raisonnable. Mais nous devrions tous de même nous interroger sur l’évolution profondes des U.S.A.
Une évolution profonde des U.S.A. qui pourrait devenir préoccupante ?
En effet, la première question à se poser serait de tenter de comprendre s’il s’agît d’un mouvement de fond ou seulement d’une tempête passagère.
L’écoute des média américains indique clairement que les relations avec l’Union Européenne et la protection des libertés individuelles sur Internet ne font pas partie des préoccupations des citoyens américains. Et on ne saurait les en blâmer. Comme nous, les électeurs américains sont d’abord intéressés par l’agenda domestique: leur niveau de vie, leur santé et leur emploi. Alors que se préparent les élections de mi-mandat, ce sont bien ces thèmes qui devraient monopoliser le débat politique américain.
Et pas la liberté d’expression, pas les relations avec les Européens. Ce qui est bien normal après tout. Cela pourrait vouloir indiquer que cette stratégie américaine a peu de chances d’être redressée en notre faveur au moins jusqu’à la présidentielle U.S. de 2028. Et c’est long, très long.
Choisir sur le plan politique de prendre ces attaques avec froideur et distance est très certainement la seule possibilité laissée à nos élus.
Savoir ne pas réagir devrait-elle être notre stratégie ?
Mais alors se pose une autre question: est-ce que ces attaques vont encore plus fragiliser nos démocraties européennes ou vont-elles juste glisser sur l’actualité et disparaître comme tant de polémiques ?
C’est un choix. Partant du principe que les U.S.A. sont nos alliés et la vie politique américaine tend actuellement vers une rhétorique certes toujours plus agressive, mais qu’il s’agit d’une situation fugace en raison des alternances rapides entre démocrates et républicains, prendre tout ce vacarme avec distance reste raisonnable. En effet, cette agressivité s’adresse d’abord aux citoyens américains en leur rappelant les valeurs centrales de leur nation et est finalement suivie de peu d’effets dans nos populations.
De fait, le silence et la pondération de nos élus semblent être encore la voie la plus raisonnable, dès lors que cela s’insère dans une stratégie globale.
Mais est-ce bien le cas ? Avons-nous une stratégie d’ensemble face aux intrusions informationnelles et cognitives que nous subissons depuis la Russie comme depuis l’autre côté de l’Atlantique ?
Je vous laisse le choix de la réponse.