Attaques informationnelles : quelles intentions derrière ces médias suspects ?

Les attaques informationnelles passent par des sites suspects. Mais s’agit-il d’une attaque directe ou d’une attaque indirecte ?

Le quotidien régional Les Dernières Nouvelles d’Alsace a consacré sa Une du 26 novembre aux menaces informationnelles qui pèsent sur les élections municipales de 2026. En effet, l’année 2025 a vu la multiplication de sites de désinformation dont les contenus, générés par des IA, sont destinés à jeter le doute sur l’état de notre pays. La principale source de cet article est Recorded Future qui indique la création quasiment simultanée de 141 sites de presse régionale au seul premier semestre 2025.

Confirmés par Reporters Sans Frontières et l’enquête des Dernières Nouvelles d’Alsace, les journalistes attribuent cet afflux de sites Web à une offensive de la Russie dans le but de peser sur les élections municipales de 2026 en influençant la population.

Mais était-ce réellement la population française, les électeurs, qui étaient visés? La démarche est peut-être plus complexe qu’il n’y paraît.

L’existence de ces sites de presse fallacieux est une réalité

Ces sites bidons existent réellement: franceavanttout.fr, newsly.fr, mediafootmarseille.fr ont été enregistrés par le même registrar1 TLD Registrar Solutions Ltd, basée à Londres et s’appuient sur la même équipe de rédaction, comme une certaine Lynda Leroux et un Baptiste Lemoine. Un autre site, decontair-67.fr, dont les seules illustrations sont générées par l’IA et l’équipe apparemment fictive a été enregistré en France.

Parcourir ces sites provoque un sentiment bizarre: les illustrations générées par les IA génératives arborent des couleurs criardes qui attirent l’oeil. L’approche fantaisiste de la réalité montre bien que la vraisemblance n’est pas leur priorité. L’exemple le plus cocasse vient d’ailleurs du site dédié au foot à Marseille, où des joueurs de football américain servent d’illustration à un article sur l’OM. Franchement, quel fan de l’OM pourrait être ainsi dupé ?

Joueurs de football américain au stade vélodrome

Nous pourrions ainsi multiplier ces sites. Mais le plus surprenant n’est peut-être pas dans leur contenu, mais dans leur public.

Quelle fréquentation pour ces sites ?

Tirer la sonnette d’alarme sur ces sites et le danger qu’ils représentent est légitime. Mais nous pouvons légitimement douter que la désinformation du grand public soit leur cible.

En tout premier lieu, la dimension publicitaire est essentielle: les bandeaux publicitaires sont nombreux et génèrent donc des revenus, alors que la rédaction automatique d’articles et d’images ne coûtent quasiment rien. Dans un deuxième temps, leur référencement est très mauvais: on n’y accède que rarement par la première page de Google, sauf en cherchant spécifiquement sur le titre du média ou le nom du journaliste.

Déçu par les premiers résultats, j’ai donc accédé à la page Facebook de Newsly.fr. C’est parfait, ils affichent 148.000 abonnés. Mais de nouveau, j’ai été déçu: 9 heures après la publication d’un article sur les voitures électriques, leur page Facebook comptait 0 réaction (oui, zéro) et il en est de même pour la totalité des articles précédents.

Plusieurs articles parus entre août et septembre 2025 font part d’un projet obligeant les seniors à apposer un macaron « S » sur leurs voitures. L’un de ces articles, publié le 25 août, a suscité de nombreuses réactions (77 au total), laissant croire à un véritable mouvement de fond. En revanche, un autre article publié le 4 septembre et signé Lynda Fournier n’a suscité que 9 réactions, échelonnées sur un rythme très régulier d’une réaction toutes les 30-35 minutes.

La fréquentation réelle de ces sites reste donc un mystère: mal référencés, avec des réactions extrêmement irrégulières, voire quasiment inexistantes malgré des milliers d’abonnés, ils ne semblent pas s’intéresser au grand public.

Quel cible pour ces sites ?

Ce regard rapide, mais qui mériterait d’être approfondi, conduit donc à s’interroger sur la notion d’intentionnalité: leur cible est-elle réellement le grand public ? En effet, construire un site, même de désinformation ou d’influence en direction du grand public, prend du temps, de l’argent, des campagnes de publicité et exige un référencement solide, surtout quand l’espace des médias en ligne est saturé.

Or ce n’est la politique d’aucun de ces sites. Que pourrions-nous en déduire ?

Premièrement, le grand public n’est pas la cible, puisque leur référencement est pauvre.

Deuxièmement, la publicité les rémunère en nombre de clicks. Or, sans public, difficile d’avoir du click. A moins de les acheter et de s’appuyer sur des fermes humaines ou automatisées où chaque click provoque une micro-rémunération, comme avec Amazon Mechanical Turk.

Troisièmement, sans ce dossier de Recorded Future, repris par Reporters Sans Frontières, puis par la presse quotidienne régionale, personne n’aurait entendu parler de ces sites. Et c’est peut-être sur ce point précis que nous pouvons nous approcher de la véritable intention: grâce aux rebonds permis par les réseaux sociaux et le Web, des sites quasiment invisibles acquièrent une véritable notoriété, validant de facto l’hypothèse que nous sommes attaqués par les trolls russes.

L’intention ne serait-elle pas de manipuler des acteurs indiscutables ?

C’est uniquement une interrogation. Une visite approfondie de ces sites, une tentative de comprendre leur référencement ou leur fréquentation permettent de relever de multiples incohérences incompatibles avec une cible grand public.

Dès lors, si le grand public n’est pas la cible directe, il peut néanmoins rester la cible indirecte. L’objectif n’est pas alors de le diriger vers ces sites, mais de conduire quelqu’un à parler de ces sites. Non pas pour que le public les visite, mais bien pour créer un climat particulier, anxiogène en s’appuyant sur le principe de la convergence objective d’intérêts pourtant divergents: le créateur de ces sites souhaite susciter la peur, tandis que des professionnels à la déontologie irréprochable souhaitent nous alerter sur les menaces.

Permettre la rencontre de ces deux pôles opposés constituerait alors la victoire de notre adversaire.

  1. Les Registrar sont les organismes chargés d’enregistrer les noms de domaines des sites Internet. Il en existe dans tous les pays. ↩︎

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Auteur : Fabrice Jaouën

Blog personnel portant sur les sujets d'intelligence artificielle et de société.

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